Now*here
Pensées, inspirations et exploration
En fait, pour cette seconde newsletter, j’avais d’abord pensé à vous parler de la question de l’équilibre, notamment celui dont nous parle le Tao, équilibre entre le Yin et le Yang. Comme j’ai pu en discuter avec certains d’entre vous, j’ai participé à une formation en Yin Yoga avec Biff Mithoefer en septembre à Munich, qui m’a beaucoup dévoilé sur cette question de l’équilibre…Et nous avons exploré à nouveau cette question au cours du weekend au Dojo du Plessis.
Mais je ressens après nos échanges avec Nicolas, Nathalie et d’autres au cours de la retraite, presque comme une urgence (intérieure soyez sans crainte ! ) d’écrire d’abord quelques lignes sur la question du lien entre pratique du yoga et du non-attachement, et engagement dans la vie (toute forme d’engagement, qu'il s'agisse du militantisme et engagement pour une cause ou d'activités à caractère social, écologique, humain, culturel dont l’objectif est un intérêt collectif et solidaire – et non individuel). Il existe de nombreuses similitudes dans les concepts présentés par les traditions bouddhistes, hindouistes et du yoga, celles-ci ayant des origines communes, notamment au regard de textes anciens qui se recoupent parfois mais aussi de leur lieu d’émergence et des interactions (et dialogue) qui ont existé entre elles au cours des millénaires. L’un des concepts centraux présent dans ces traditions et d’autres, est celui du non-attachement, ou du « détachement » (Vairagya en sanskri, concept qui se retrouve dans les différentes spiritualités orientales) Lorsque la signification de ce concept est simplifiée pour être expliquée vite et au plus grand nombre, on a tendance à l’interpréter trop vite comme une vertu qui consisterait à ne plus être attaché aux choses de la vie, qu’il s’agissent de biens matériels, mais aussi de personnes, ou d’objectifs, de désirs. Grâce à la pratique de la méditation et du yoga, l’idée semblerait ici de se défaire de toutes nos « attaches » et de laisser les événements de la vie « glisser » sur nous et ne pas nous atteindre, donc ne pas nous faire souffrir. Or, si on creuse un petit peu cette idée, déjà elle nous questionne. En effet, cette équanimité décrite comme l’une des vertu principales dans le bouddhisme, ne semble-t-elle pas dans les faits se rapprocher dangereusement de l’indifférence… ? Si nous apprenons à nous détacher de nos biens, mais aussi de tout ce qui nous affecte, ne risquons nous pas de tendre vers une vie de renonçant qui n’aurait plus de désir mais risquerait de rejeter dans le même la souffrance d’autrui, perdant alors dans le même temps toute forme d’agir…et de désir d’agir.. ? Où se place cette limite dans l’interprétation du non-attachement, entre l’indifférence et, au contraire, le concept d’amour inconditionnel qui représente la vrai quête du yoga et l’essence de notre « être supérieur » ; ou comment mieux comprendre cette notion de détachement afin de pouvoir l’utiliser dans une vie libre, et donc responsable ? Je trouve personnelle la question pertinente, car j’ai vécu cette ambivalence et ces questionnements au moment où je me suis engagée dans la voie du yoga. Peut-être verrez-vous certaines correspondances avec des doutes que vous avez pu avoir, ou des phases de transformation que vous avez vécues. J’ai grandi dans une famille très engagée et militante, avec deux parents enseignants dans l’éducation nationale. Mon père était (je parle au passé faisant référence à mon enfance, mais ils font toujours le même métier !) un syndicaliste déterminé et brillant, qui avait le cœur généreux, altruiste et donc profondément révolté par les injustices qui lui étaient données de rencontrer. Il avait le talent de réunir, motiver, mobiliser – faire naître chez les gens l’esprit de résistance, de combativité, et d’espoir. Ma mère était une professeure féministe militante, élevée par des opposants à la dictature brésilienne, en plus d’être d’une nature courageuse et sans concession sur ses valeurs et ses convictions profondes. J’ai donc participé de nombreuses manifestations des grandes luttes importantes qui ont traversées mon enfance, puis participé de mobilisations lycéennes à mon adolescence, développant encore cet « instinct » d’action collective et de solidarité – apprenant à distinguer l’essentiel du superficiel et à résister aux concessions sur ces valeurs fondamentales. Les mêmes qui pourtant sont continuellement bafouées dans notre société…La lutte contre l’injustice s’est donc installée comme un souci important dans ma vie. Cet esprit militant s’est quelque peu noyé dans la quête identitaire qui a suivi mon adolescence…(nous sommes tous déjà parfaits tels que nous sommes, dans le sens que nous sommes déjà tous ce que nous pouvons être à cet instant précis, mais nous sommes par ailleurs très imparfaits bien sûr…) En d’autres termes…J’étais un peu perdue et ma personne (mon identité, mon ego, sa construction) prenait beaucoup de place dans ma recherche existentielle pour que l’engagement vers les autres soit au centre de cette période de vie. Mais j’ai toujours gardé le souci d’aider les autres (et notamment ceux victimes d’injustice ou dans le besoin) pendant mes études, en m’engageant dans des associations de quartier mais aussi dans différentes activités intégrées à mon quotidien. Je souhaitais dédier ma vie à l’humanitaire en suivant un Master spécialisé sur la question, et les opportunités qui se sont finalement présentées m’ont orientée plutôt vers le domaine du développement international, système auquel je croyais pouvoir adhérer, du moins en partie ou suffisamment pour me sentir utile et agir à la réduction des inégalités. Ce récit de mon histoire personnelle sensé être un contexte à la réflexion par le partage d’expérience est déjà très long (à croire que je pourrais encore rédiger des pages et des pages), je vais accélérer la fin de l’histoire pour revenir l’idée du détachement et de l’action. Après plusieurs années de pratique de yoga, en parallèle de mon travail dans le développement quelques temps, j’ai décidé que travailler pleinement dans ce domaine ne me convenait pas et que je souhaitais me consacrer à la pratique et à l’enseignement du yoga. C’est la façon que j’ai finalement choisie, ou l’une des façons, pour être « utile », aider les autres, agir, faire quelque chose, contribuer au changement – c’est un outil parmi d’autres, qui chez moi résonne plus que l’humanitaire ou le développement tel que je les ai côtoyés. Mais chacun doit trouver son propre vecteur pour agir, s’engager, être dans le « Karma Yoga » comme la métaphore célèbre d’Arjuna partant au combat dans la Bhagavad-Gita, le Yoga de l’Action. Je réalise chaque jour un peu plus que la pratique et l’expérience sont fondamentales dans le Yoga pour nous permettre de cheminer dans la bonne direction, et ne pas perdre de vue l’objectif de la pratique. Etant moi-même encore jeune et n’ayant que 7 années de pratique du yoga derrière moi, je suis encore à l’aube de ce cheminement – mon seul recours pour garder un cap juste, est de continuer à questionner, douter, apprendre et étudier chaque fois qu’il m’est donné de le faire, évoluer et m’inspirer des bonnes personnes. Il existe une phase, quand on commence à être vraiment « hooked » ou passionné par le yoga ou ma méditation, où on a cette impression de se redécouvrir, apprendre à finalement se connaître et s’écouter, et à reconsidérer toute notre vie sous un nouvel angle. Cette phase où nous retrouvons un peu de « sens » à une vie qui en était peut –être dépourvue en partie, ou que nous n’arrivions plus à discerner, nous donne une grande sensation de joie, de liberté, mais s’accompagne souvent également d’une certaine forme de repli ou de « recentrage sur soi ». On nous donne l’autorisation parfois pour la première fois de « s’occuper de soi » , de se connaître « vraiment », de « s’aimer » et « s’accepter »…Autant de conquêtes primordiales dans la construction d’une bonne estime de soi saine et équilibrée…Que je ne remets absolument pas en cause, et que je nous souhaite à tous ! Nous avons d’ailleurs absolument besoin de cette reconnection avec soi-même et le besoin de nous connaître pour comprendre ce que nous souhaitons pour notre vie. Mais cette transformation peut sans doute dans un second temps continuer et aller plus loin que cette phrase, si on s’attache à la pratique suffisamment longtemps et assidûment, continuer de se produire. En approfondissant notre cheminement et en passant ce premier « cap » d’émancipation et de libération, on peut continuer et devenir véritablement capables d’aider les autres. Une fois que nous avons, grâce au yoga ou la méditation, commencé à déconstruire pas à pas les murailles de notre conditionnement, les limitations illusoires dont nous souffrons commencent à s’estomper et nous sommes capables d’une certaine prise de distance vis-à-vis de notre vie et de ce qu’il s’y passe. C’est ici que la notion de souffrance (dukkha) apparaît, puisque nous avons cette impression de moins « souffrir » de certaines choses. L’objectif de la pratique du yoga est avant tout de nous libérer de l’ignorance (Avidya) (le « voile d’ignorance » devant nos yeux), ou encore l’illusion dans laquelle nous vivons, car elles nous maintiennent dans la souffrance (dukkha). L’idée de non-attachement doit ainsi être recherchée comme un idéal mais elle ne pourra se concrétiser réellement qu’une fois notre conditionnement entièrement dépassé et notre « voile d’ignorance » sur qui nous sommes profondément soulevé…en d’autres termes, notre attachement si fort aux choses, aux personnes et aux émotions qui composent notre vie est à la fois une source de notre souffrance et une conséquence de notre état d’ignorance. Il serait une illusion de penser que l’on pourrait atteindre un véritable non-attachement, à moins d’atteindre l’éveil (je ne doute pas que vous y arriverez ! j’en suis moins sûre en ce qui me concerne… ;), et ceux qui décident de se retirer du monde pour se consacrer à cette quête font aussi le choix, il est vrai, de ne pas agir dans le sens d’une mobilisation collective ou solidaire à laquelle nous ferions référence communément quand on parle d’engagement. Soyons donc plus juste pour finir notre raisonnement, et parlons d’une « diminution » de l’attachement plutôt que du détachement complet. Quel bénéfice peut nous apporter « moins » d’attachement dans notre désir d’aider les autres êtres humains, de changer les choses, de lutter contre les injustices et les inégalités ? Etre moins attaché aux biens matériels, et être capable de s’en détacher sans souffrir mais aussi et surtout avoir besoin de moins et pas de plus que du nécessaire, semble le point qui pose le moins question. Cela nous semblerait profitable de façon assez consensuelle, en permettant une première forme de résistance à la surconsommation et au capitalisme, et donc de concentrer plus d’efforts et d’énergie sur d’autres activités que la consommation, telles que sa propre émancipation ou des actes de solidarité. Ce qui cause plus problème en revanche est l’idée de se détacher des autres, et notamment de ses émotions ou ses sentiments à leur égard. On pourrait être amené à penser que le moins ressentir conduirait nécessairement au moins réagir. Je crois que le fait d’être moins soumis à sa propre identification aux autres peut être au contraire une force pour être en mesure de mieux agir, y compris pour les autres. Une prise de distance vis-à-vis de nos émotions, et le fait d’être en mesure de les observer et de les accueillir sereinement peut nous aider à être plus clairvoyant et sans doute plus juste dans nos choix et notre positionnement face aux autres. Le fait de mieux nous connaître (être observateur, spectateur de soi-même comme on le suggère souvent dans la méditation), et de prendre conscience de mécanismes inconscients qui sont à l’œuvre dans nos émotions ou nos désirs conscients (voir le texte publié le mois dernier sur les samskara & vasana), peut aussi contribuer à nous faire agir avec plus de vigilance ou de prudence, sans pour autant diminuer notre détermination ou notre conviction. Etre « à la merci » d’émotions parfois passionnelles, y compris face à un sentiment d’injustice concernant autrui, les ressentir pleinement et être submergé par elles peut être source d’énergie et de combativité en apparence mais aussi risquer de nous aveugler ou de fausser notre vision de la réalité. Une vision trop absolue ou non distanciée de la réalité qui nous entoure pourrait dans certains cas nous révolter à tel point que toute action nous apparaitrait insuffisante, constat qui pourrait alors nous paralyser dans notre capacité d’agir. Dans certains cas, cette vision « affective », partiale de la réalité peut même conduire à des dérives telles que l’extrémisme ou le sectarisme, malheureusement trop répandues dans le monde, manifestation de ce « voile d’ignorance » qui empêche l’homme de voir ce qui est vraiment, et indirectement d’être libre et heureux… Dans certains cas, nous avons plus ou moins l’illusion de détenir LA seule vérité, ou LA seule façon d’agir. Posons-nous un instant cette question sur nos convictions les plus fortes : les percevez-vous comme des vérités discutables et partielles, ou comme des vérités absolues et universelles ? Aussi difficile à accepter moralement que cela puisse paraître, le Yoga nous aide à nous souvenir qu’une vision manichéenne du monde et des injustices n’est ni juste, ni souhaitable. Bien que certaines valeurs soient fondamentales pour le bien de l’humanité, sans aucun doute, la notion de bien elle-même est relative et le caractère absolu de ces valeurs doit toujours être pondéré. Tout comme la question de l’équilibre évoquée en introduction de ce texte, le Tao nous enseigne la présence du rien dans le tout, du tout dans le rien mais aussi du tout dans le tout et du rien dans le rien…du Yin et du Yang qui forme toute chose manifestée à égale mesure…et non à travers un dualisme Yin versus Yang. En d’autres termes, rien n’est complètement noir ou blanc. La pratique de la méditation et du yoga peut nous aider à ressentir et appréhender cette idée plutôt abstraite à première vue. Par cet exercice répété et constant de non attachement à nos vérités : qu’il s’agisse d’un sentiment de possession sur un objet ou une personne (un conjoint ou nos enfants par exemple) ou d’un sentiment de révolte, d’injustice, de peur ou de tristesse ou de joie (etc.), nous faisons l’expérience de la relativité, de l’impermanence, ainsi que de la place de notre ego dans notre propre subjectivité. Par conséquent, nous devenons au fil des années de pratique plus humbles, plus matures, des qualités indispensables pour parvenir à mettre en place dans sa vie un engagement le plus honnête et le plus désintéressé possible (encore un idéal vers lequel tendre sans prétendre à l’atteindre) sur le long terme. C’est du moins mon sentiment personnel. L’humilité vis à vis de ce que nous entreprenons pour aider (quelque soit la cause choisie) repose sur notre non-attachement des résultats de cette action. C’est là que réside le caractère désintéressé de l’engagement et de l’amour que nous pouvons rechercher. Dans ce cadre peut véritablement émerger la compassion (Karuna), autre concept central du bouddhisme. On peut se souvenir un instant des quatre accords toltèques (Don Miguel Ruiz) pour ceux qui les connaissent, car ils s’appliquent particulièrement bien à cette question de l’engagement et de la pratique du yoga…si on regarde de plus près, ces accords nous parlent tous du non-attachement : apprenons à ne pas avoir d’attentes (se « détacher » de nos attentes vis-à-vis des autres et de nous-même ; ce qui nous évitera par exemple de juger ceux qui ne sont pas « engagés » de la même façon que nous…), à ne pas avoir de préjugés (cela implique de s’en «détacher » car nous sommes tous conditionnés par notre éducation et notre environnement de naissance), ne pas prendre les choses personnellement ou contre soi (se « détacher » du jugement des autres et de son propre jugement envers soi – les deux n’étant que la résultante d’une forme « d’ignorance » chez soi ou chez les autres), et enfin faire de son mieux dans toutes les situations : nous revenons ici à l’importance d’être dans l’action, le Karma Yoga, l’engagement, mais de façon détachée… J En outre, la pratique du yoga et de la méditation nous apprend la patience (ça fait combien de temps que vous essayez de méditer plus de 10 minutes sans vous interrompre ou de réussir telle ou telle posture…. ? ;). Celle-ci qui peut nous aider à prendre de meilleures décisions quant à l’action à entreprendre, la cause qui sera « bonne » pour nous (nous sommes tous différents et nos missions de vie aussi !), elle nous permet aussi d’accepter notre capacité d’action telle qu’elle est – à nouveau pas la même que celle du voisin: la forme et la profondeur de l’engagement que nous sommes en mesure d’avoir dans le moment présent nous est propre. Il faudrait se détacher (encore une fois ! on a du travail) de la culpabilité (qui nous ronge tous plus ou moins, de façon plus ou moins assumée ou consciente certes mais tout de même…) de ne pas être suffisamment engagé dans sa vie, ou pas pour des idées ou causes « importantes ». Au contraire, nous sommes tous capables d’agir pour une cause aussi précise ou « limitée » en apparence soit-elle, nous devons simplement trouver celle qui est juste pour nous et compatible avec qui nous sommes. En revanche, je m’aventurerais pour finir à prendre position contre un « désengagement » total, observé trop souvent chez les plus puissants de la planète, mais aussi au sein de chacun de nous par moment, et certains diront, de plus en en plus répandu dans nos sociétés modernes en général. Celui-ci constitue un danger, car en refusant d’assumer toute forme de responsabilité vis-à-vis des autres, de la planète, et de nous-mêmes, nous mettons directement en risque notre liberté. Ce désengagement apparaît d’ailleurs comme reflet d’une forme de souffrance (dukkha) de plus en plus profonde et étendue… et notre engagement dans une pratique de yoga ou de méditation est souvent le tout premier pas vers une reprise en main de notre liberté et à terme de notre responsabilité. La sur-commercialisation actuelle du Yoga et sa médiatisation nous obligent, en tant que professeurs et en tant qu’élèves, à une vigilance, une prise de distance et un esprit critique sur nos propres choix, si nous voulons éviter de trop nous éloigner de l’essentiel. C’est en cela que la pratique du non-attachement, et de tout ce qu’elle implique, peut être perçue comme un apport et un soutien à un processus collectif d’émancipation d’un système qui nous contrôle. Mais l’engouement croissant pour le yoga et les pratiques autour du bien-être ou de la méditation, et le développement rapide de ces pratiques, est dans le même temps, j’en suis intimement convaincue, une excellente nouvelle pour l’avenir de l’humanité : comme un tout petit premier pas de fourmi vers un « ré » engagement porteur d’espoir…
1 Commentaire
giada
11/30/2017 06:49:36 am
Coucou Sonia, je suis partout :) Même si je n'arrive pas (encore) à suivre tes stages et tes voyages, je te remercie pour cet enseignement à distance très utile, énergisant et encourageant. Et tes belles photos, elles aussi m'aident et me donnent encore plus envie de m'entrainer et pratiquer. Bisous
Réponse
Laisser une réponse. |
AuteurProfesseur d'Ashtanga / Vinyasa yoga et voyageur avide Archives
Octobre 2018
Catégories |